Organiser une manifestation en Tunisie

 

En matière d’Internet, la Tunisie est un des régimes les plus répressifs de la planète avec à son passif un nombre incroyable de blocages de sites et de censures.

 

 

Sur les observateurs vous pouvez lire un état de lieux de cette censure qui, il y a encore deux mois, a expurgé l’Internet tunisien d’un nombre important de blogs et de sites webs. Les censeurs peuvent pousser l’arbitraire jusqu’à bloquer des blogs qui ne traitent pas des affaires publiques et pousser le paroxysme a son comble en censurant n’importe quel article qui parle de la censure en Tunisie. Il est vrai que sur le front de la guerre contre Internet on trouve beaucoup de pays voisins : au Maroc des bloggeurs sont parfois poursuivis devant la justice et en Egypte les harcèlements judiciaires sont encore plus fréquentes. Mais l’Etat tunisien est sans doute le pire de tous les pays de la région tant au niveau des moyens mis en œuvre qu’au niveau de l’acharnement pour la surveillance et le contrôle d’Internet. 

 

A l’instar de beaucoup d’internautes tunisiens, Selim , Yassine et Lina n’en pouvaient plus de cette censure. Les jeunes hommes voulaient organiser une manifestation contre cette censure galopante, une manifestation qui se veut apolitique sans aucune revendication autre que celle de l’arrêt de la censure. Pour faire les choses proprement, en toute légalité, ils ont entamé les démarches auprès des autorités tunisiennes pour déclarer et obtenir l’autorisation de manifester samedi devant le ministère de l’information à Tunis. Cette manifestation devrait être aussi appuyée par plusieurs autres organisées à l’étranger devant les consulats de la République tunisienne.

 

Avec beaucoup d’audace et de courage et en conformité avec les lois locales Selim et Yassine et Lina ont entamé les préparatifs le tout filmé et posté sur Internet.

 

 

 Dans cette vidéo sur les préparatifs, en arabe tunisien, Selim et Yassine expliquent les premières démarches. Ils apprennent que pour organiser une manifestation à Tunis, ils ne devraient pas d’adresser à la préfecture comme c’est le cas de la plupart des autres villes mais exceptionnellement à la direction générale de la sûreté nationale, organisme central de la police tunisienne. Finalement ils refont écrire la déclaration en termes judiciaires et l’envoient par lettre recommandée aux autorités. 

Selim raconte un épisode révélateur de l’état de peur qui règne dans la société tunisienne. Sollicité pour fabriquer des t-shirts avec des slogans anti-censure, le fabricant hésite et décide de se renseigner auprès d’un correspondant de sécurité tunisienne. Ce dernier explique que pour la fabrication de ces t–shirts il faut une … autorisation du ministère de l’intérieur. Finalement les t-shirts sont à leur tour censurés.

 

 Vendredi dernier à midi, la veille de la manifestation, les autorités tunisiennes ont enlevé à midi Selim et Yassine les deux organisateurs . Ces derniers ne donneront de nouvelles que plus tard dans la soirée. Par le même moyen de communication, une très courte vidéo est publiée pour annoncer l’annulation de la manifestation de demain. On y voit un Selim méconnaissable, fatigué et épuisé parlant presque sous la contrainte :

 

 Dans cette vidéo postée vers minuit Selim dit le texte suivant : « Pour que notre rencontre de samedi devant le ministère de la communication soit bien organisée, nous l’avons ajournée à un autre jour que nous vous communiquerons. Vous ne devrez pas venir ce Samedi ».

  

Que s’est-il passé ce vendredi entre midi et minuit ? Selim reviendra plus tard sur sa détention et le contexte de l’annulation de la manifestation. Selim a été arrêté en plein centre ville et a été ramené à un centre de police où il va passer le reste de la journée. Il a subit, raconte-il, un interrogatoire et parois des intimidations. Aux interrogateurs, il devrait raconter toute sa vie depuis l’école primaire. Il apprend que la manifestation du lendemain est déclarée illégale car elle pose un problème de sécurité puisque les policiers ne connaissent pas l’identité des gens qui vont y assister ! On lui propose de poster une vidéo informant les internautes de son annulation. S’ouvre alors des « négociations » sur le contenu de la vidéo à poster. Il a été ramené, raconte Selim, au centre culturel de la ville pour filmer la vidéo d’annulation de la manifestation avec les termes négociés.

   

Ainsi va la Tunisie ! A trois heures de vol de l’Europe organiser une manifestation pacifique demeure encore un acte dangereux. Mais aujourd’hui des milliers de jeunes, en Tunisie comme dans les autres pays voisins, prennent leur courage en main pour défendre leurs libertés dans un contexte local très difficile. On pourrait penser que c’est un combat en vain en absence de classe politique capable de soutenir les jeunes de la région et face à des régimes aux moyens de répression sophistiqués. Mais cette courageuse prise de conscience, bien qu’il ne s’agisse ici que de la seule liberté d’Internet, augure de quelque chose de nouveau.

 

Update 24/05/10 a 21h52 : Pour les non arabophones une vidéo qui reprend le fil des évènements sous-titrée en anglais

 

 

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2 Comments
Ont-ils gagnés quelques choses,maintenant qu'ils sont libres? Je commence à avoir des doutes.
Attention a ne pas trop abuser des megaphones. Ca peut etre percu comme une provocation !

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